Le retour des ancêtres (partie I)

Lorsque les philosophes du Siècle des Lumières ont défini la modernité, ils lui ont attribué quelques caractéristiques tels que la rationalité, la science et le progrès. Ce faisant le monde primitif, anti-thèse de la modernité se retrouvait dépourvu de ces caractéristiques. Ainsi toute son expérience fut résumée en une espèce de sursaut religieux, mais sursaut qui demeurait également primitif en comparaison aux croyances religieuses chrétiennes, musulmanes et juives puisqu’elles offraient une relation exclusive avec Yavhé décliné en Dieu et Allah. Le terme animisme fut créé justement afin de distinguer ces systèmes de croyance qualifiés de primitifs. Depuis lors plusieurs voix héritières de ces mondes primitifs se sont fait entendre pour dénoncer cette injustice anthropologique. Malheureusement ces dénonciations se firent par rapport à l’échelle de valeurs du Siècle des Lumières. Il s’agissait de prouver que ces sociétés primitives avaient elles aussi fait l’expérience d’une force créatrice du monde équivalente au Dieu révélé d’une manière ou d’une autre et non d’un polythéisme flou. L’Afrique subsaharienne étant la capitale du monde primitif, elle n’échappa pas à cette lutte épistémologique. En héritage de ce travail, ces sociétés primitives, leurs rites et codes, ne sont désormais plus que des équivalents religieux, c’est-à-dire des systèmes mis sur pied pour honorer et nourrir une force créatrice équivalente au Dieu monothéisme et pour quelques rares des systèmes de spiritualité, sans qu’on ne sache ce que signifie ce terme. Dieu ou l’idée de Dieu occupe désormais l’intégralité des champs d’études sociaux, surtout lorsqu’il s’agit d’étudier les systèmes primitifs renommés en systèmes traditionnels. Louer Dieu ou son idée est désormais une évidence rituelle qu’on ne saurait remettre en cause pour rien au monde.

Des croyants embrassant Jésus-Christ sur la Croix

Pourtant l’étude historique laisse place à un tout autre constat, Dieu ou l’idée de Dieu n’est pas un concept inhérent à toutes les sociétés considérées comme primitives, il fut introduit. Affirmer le contraire revient à nier les témoignages des missionnaires, acteurs principaux de l’implantation religieuse. Mais pour cela faut-il encore être au courant de leurs dires. Captain Alan Gardiner, un des premiers missionnaires arrivé dans le Royaume Zoulou après la mort de Chaka Zoulou en 1834, écrit dans Narrative of a journey to the Zooloo Country :

« Nous semblons être arrivés ici à une époque où les connaissances traditionnelles d’un Être Suprême sont rapidement passés dans l’oubli »

En bon religieux Gardiner ne pouvait pas concevoir l’existence d’une société où il n’y ait pas de révérence adressée à un « Être Suprême » alors il s’attela à en trouver un qui correspondrait à celui des chrétiens, comme il le dit lui-même :

« La majorité des personnes étaient ignorantes de cet aspect de leur tradition ; mais depuis les récents contacts avec les européens, l’idée vague d’un Être Suprême commença à devenir à nouveau général. »

De là, les missionnaires tentèrent de faire de Unkulunkulu « l’Être Suprême », pourtant d’autres missionnaires comme Henry Callaway, savaient que le système Zoulou était organisé autour des Amatongo, les Ancêtres, dont le Roi était un représentant, Gardiner dira même ceci :

« Actuellement, le Roi régnant absorbe toutes les prières, et il est de fait leur unique idole »

Mais Gardiner n’est pas le seul à avoir constaté une absence de préoccupation concernant la question de Dieu chez le peuple Zoulou. Owen, un missionnaire arrivé en 1937 en soutien suite à l’appel de Gardiner écrivit dans l’ouvrage Owen’s diary édité par Sir George Cory en 1926 :

« Dingann demanda quel âge j’avais…puis il demanda qu’on lui apporte une vieille photo des rois d’Angleterre qu’il possédait…il demanda alors si Dieu était parmi ces rois…les indigènes me demandèrent si j’avais déjà vu Dieu […] Les Zoulou n’ont pas de terme dans leur propre langage pour exprimer le sublime objet de notre adoration…le mot Unkulunkulu…était utilisé pour désigner un ancien roi. »

L’anthropologue anglais Clement Egerton qui vécut une année dans la chefferie Bangangté du pays Bamiléké de la région des Hauts-Plateaux du Kameroun, écrivit dans African Majesty : A record of Refuge at the Court of the King of Bangangte in the French Cameroons :

« J’ai deja dit que les Bangangté ne semblent pas avoir une inclinaison philosophique. Ce qui est certain est qu’ils ne se soucient pas de religion. J’ai essayé vraiment de trouver quels dieux ils vénèrent, mais n’ai pu rien trouver. Il y al’êtreindéterminé pour qui les mbeu sont sacrés, mais il n’est jamais mis en branle qu’en cas de calamites. Il y a les ancêtres qui peuvent faire tomber du mal sur les descendants qui se comportent mal, mais il n’y a pas de dieux. Tel que je le vois il n’y a pas de véritables dieux, pas d’idoles, et pas de cultes privés ou publics. Le besoin d’une assistance super-naturelle ne semble pas ressenti dans la mesure ou les sanctions des conduites sont trouvées dans le système social lui-même. »

Si donc ces populations n’avaient aucun intérêt pour un équivalent à l’Être Suprême, maître des existences, comment se fait-il que Dieu ou l’idée de Dieu se fixa avec autant de facilités dans le quotidien de ces populations ? Pour deux raisons, la première est donnée par l’anthropologue Gaetano Ciarcia concernant la Guinée :

« Il est intéressant de noter que lorsque le daa Akanza parlait de Mawu, son interprète traduisait par Dieu, comme s’il voulait essentialiser cette connaissance en tant que connaissance primordiale. En effet l’identification du vodun Mawu en Dieu des chrétiens relève, de nos jours, de manière (trop ?) évidente d’une intériorisation des catégories qui ont présidé au recouvrement de l’ancienne entité Mawu par le Dieu unique et donc d’une expérience de la conversion marquée par l’intériorisation de sa matrice catholique. En supprimant l’influence historique évangélisatrice de la carte cognitive et mentale de l’ « intellectuel communautaire » incarné par le daa Akanza, le père Tindo poursuivait le but implicite, et probablement inconscient, de fournir à l’enquêteur européen des preuves d’une cosmogonie endogène authentique, voir les restes d’un trésor oral non contrefait par les écritures missionnaires. »

Par un mécanisme d’analogie subversif grâce auquel les missionnaires traduisirent les figures traditionnelles de ces sociétés par Dieu lorsqu’ils ne l’interdirent pas tout simplement, comme le fit l’Église en Europe durant sa chasse aux figures païennes. Ainsi peu importe la figure traditionnelle rencontrée, son histoire et son origine, elle était assimilée Dieu. Ce dernier se retrouva donc de manière soudaine dans toutes consciences devenues francophones.

La seconde raison justifiant la présence parasite du terme Dieu dans l’univers des sociétés subsahariennes tient à la transformation sociale provoquée par la colonisation. Au XXe Siècle, la scolarité était réalisée essentiellement par les ordres religieux, de ce fait les premiers lettrés puis diplômés des pays colonisés et donc de l’Afrique subsaharienne étaient des héritiers du travail et des conclusions des missionnaires. À leurs yeux, les systèmes d’organisation subsahariens de leurs parents n’étaient pas plus qu’une tentative religieuse d’entrer en contact avec Dieu. Difficile dans leur contexte de remettre en cause la présence de ce Dieu devenue évidence quotidienne. Il serait également très difficile pour eux d’admettre que la prolifération de ce concept religieux fut dans bien des espaces le fruit d’une politique de remplacement d’une autre réalité vécue par ces populations, celle des Ancêtres.

Missionnaire en Afrique : un membre de l’Ordre missionnaire des Peres Blancs enseignant a des enfants dans une ecole d’Afrique equatoriale. Carte postale du debut du 20eme siecle ©Collection Sirot-Angel/leemage

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