Cet article fait suite à : Le Retour des Ancêtres (Partie I)
En effet, ceux qui étaient à l’honneur et servaient de pilier dans la vie de la majorité des sociétés dites primitives étaient justement les Ancêtres et pour bien comprendre la place qu’ils occupaient et leur importance, il suffit de constater qu’encore aujourd’hui, dans certaines régions du globe et particulièrement l’Afrique subsaharienne, les sociétés donnent une place centrale à ces figures familiales.
Chez le peuple dit Bamiléké de l’Ouest Kameroun, chaque concession possède ou possédait son emplacement réservé aux crânes des ancêtres retirés après la cérémonie des funérailles dont une personne est chargée des offrandes rituelles à leur égard et des communications afin d’apporter la tranquillité dans la famille. L’éthno-mathématicien, Ron Elgash, quant à lui, remarque durant son étude sur les schémas d’organisations de la société africaine Biala de la Zambie, que les Ancêtres ont à l’intérieur du « village » leur demeure qui est en fait une reproduction miniature du « village ».
Chez les Akan de l’Afrique de l’Ouest, il existe une expression élogieuse qui précède le nom ou titre de la personne à qui l’on s’adresse ou fait mention, c’est le terme nah-nah (nana). Réservé aux grands-parents, patriarches de la société, il est attribué lorsqu’on estime que la personne a suffisamment marqué la communauté avec des naissances ou encore en menant une vie en accord avec les Ancêtres. Mais nah-nah est plus que ça, il fait également référence au caractère ancestral d’une personne, ainsi il est le titre porté par les Ancêtres mais également par Nyame, le roi des « dieux » Akan d’après la lecture anthropologique. Nyambe est un archétype de la vie à mener. A. Le Hérisée, l’administrateur du Dahomey, écrivit dans son ouvrage intitulé L’Ancien Royaume du Dahomey, mœurs, religion, histoire :
« Les habitants ont la certitude que tous [les vodun] sont les ancêtres merveilleux des tribus qui ont concouru à la formation du Dahomey. Leur vodun a un double caractère : humain, et surnaturel »
William Bascom cité par Pierre Verger dans Notas sobre o culto aos orixas e voduns dit quant à lui :
« Un orisha est une personne qui vivait dans la Terre lorsque celle-ci fut créée et dont descendent les personnes d’aujourd’hui. Lorsque ces orishas disparurent ou « devinrent pierres », leurs enfants commencèrent à leur faire des sacrifices et à procéder à toutes les cérémonies qu’eux-mêmes avaient effectuées lorsqu’ils étaient dans la Terre ».
Marcel Griaule, ethnologue ayant étudié les Dogons, nous parle de l’Ancêtre Amma qui eut deux jumeaux appelés Nommo, maître de la parole qui enseignèrent aux hommes. D’après les informations recueillies, pour les Dogons, les Nommo viendraient de Sirius qui joue un grand rôle dans l’organisation de leur société.
Les Ancêtres structuraient également la vie d’une partie des celtes, on les retrouve aux origines de la fête Halloween et celle de la Toussaint. La Toussaint qui fut instituée le 1er Novembre à partir du VIIIe Siècle sous l’influence des Papes Grégoire III et Grégoire IV, est en fait le détournement de la fête de Samain. Cette dernière consistait en la célébration du nouvel an mais également à une période de 3 jours pendant laquelle l’Autre Monde, celui des « dieux » où reposent les « morts » s’ouvre facilitant les communications entre « vivants » et « morts » et la réalisation de rites dans le but de conjurer les sorts de l’année passée et préparer celle à venir. En devenant chrétien, les Celtes dans leur grande majorité ont cessé d’honorer et de communiquer avec leur lignée pour célébrer les Saints choisis par le Vatican.
Comme on peut le constater ce qui est souvent désigné comme l’équivalent du Dieu dans certaines régions a plus avoir avec un Ancêtre illustre qui s’est caractérisé d’une manière ou d’une autre. La réalité dans ces régions était bien loin de cette fièvre religieuse qui a envahi tous les espaces de vie. Elle semble plus pragmatique, on exprime un lien d’appartenance par une filiation ancestrale et non à partir d’une philosophie abstraite sur des forces supposées divines.
Ancêtres ou Dieu, on pourrait penser qu’il s’agit d’un simple choix religieux similaire à celui d’être musulman ou chrétien. Pourtant il en est tout autre, tout d’abord, il est une erreur de considérer que les systèmes d’organisation des sociétés dites primitives sont équivalents aux systèmes religieux tels que le catholicisme. Les récents travaux montrent que certaines sociétés primitives ont su codifier dans leurs mythes & symboles des sciences dont la modernité découvre à peine l’opérativité, rien de comparable avec l’acte de foi ou la providence religieuse. Il en est tout autre, parce que ces sociétés ne se sont pas contentées de décrire un Ancêtre qu’il faille prier pour en espérer recevoir les bénédictions. Les Ancêtres ne sont pas « morts », ils ne disposent simplement plus de corps physique. De plus les Ancêtres ne se contentent pas d’un simple rôle d’intercesseur auprès d’un Dieu à l’image des Anges chrétiens, puisqu’ils continuent leurs aventures de vie en se réincarnant. Mais surtout les Ancêtres continuent d’impacter directement ou indirectement nos existences.
Il n’est pas rare d’entendre dire dans certains pays d’Afrique que si les projets d’une tierce personne peinent à se concrétiser, que si une maladie reste incurable ou si des troubles de comportement s’observent chez un tiers, c’est du fait de la malédiction d’un Ancêtre. Pour y remédier, il est alors nécessaire que cette personne soit prise en charge par un « spécialiste traditionnel » qui lui prescrira un traitement pouvant aller du simple sacrifice de poule blanche à un rite plus complexe.
Cette relation à l’Ancêtre peut sembler pour beaucoup assez loufoque, malheureusement la Modernité est sur le point de donner raison aux élucubrations primitives. Dans le domaine de la psychologie de l’enfance, il est déjà admis que la résolution d’un traumatisme peut trouver son origine dans des sources extérieures à l’enfant exprimant ce traumatisme, ainsi il devient nécessaire de connaître son univers de vie. De manière plus précise, la psychologue Anne Ancelin Schützenberger développa dans les années 70, la psychogénéalogie.
Une clinique qui vise à expliquer les troubles psychologiques, les maladies, les faiblesses constitutionnelles et autres comportements étranges d’une personne par l’étude de sa généalogie et donc du vécu de ses ascendants. Desquels devrait se trouver la cause des troubles constatés dans la descendance. Concrètement, la transmission d’une partie du vécu d’un parent à son enfant constitue l’essentiel de la problématique des rayonnements ionisants dont l’effet est plus connu sous le terme de radioactivité. On sait parfaitement aujourd’hui qu’un parent soumis à une forte exposition radioactive a de très grandes chances de donner naissance à un enfant ayant plusieurs handicaps. Plus novateur pour l’Occident, le magazine de vulgarisation scientifique, Sciences et Avenir a publié deux études effectuées sur les souris mettant en évidence deux choses : le stress et la douleur modifient l’expression de nos gênes. Et ces modifications sont enregistrées et transmises par exemple via le sperme. De sorte que l’on constate chez les souris descendantes une activité cérébrale ou un comportement adapté à la source du stress connu chez les parents. La souris a gardé en mémoire un héritage de ses parents qui sera un handicap ou un avantage. Voici les mots des généticiens à la suite de ces résultats :
« Nous avons pu démontrer pour la première fois que des expériences traumatisantes affectent le métabolisme et que ces changements sont héréditaires. »
« Il est grand temps que les chercheurs en santé publique prennent les réponses transgénérationnelles humaines au sérieux. Je pense que nous ne comprendrons pas la hausse des troubles neuropsychiatriques ou l’obésité, le diabète et les perturbations métaboliques sans prendre en compte une approche multigénérationnelle. »
« Ces résultats montrent que l’héritage transgénérationnel existe et est médié par l’épigénétique mais d’autres études sont nécessaires avant de pouvoir extrapoler ces résultats à l’homme […] Mais peut-être qu’un jour nous aurons à disposition des thérapies pour adoucir la mémoire de l’héritage. »(1)
En troquant les Ancêtres pour Dieu, les populations héritières ont perdu tout un système cohérent dont certaines réalités sont en passe de provoquer un séisme dans les Sciences humaines. Pour la première fois la Modernité est sur le point de prouver que des stimuli psychiques et physiques sont transmissibles à la descendance et conditionnent une partie de leur vécu. Une réalité qui permet d’aborder sous un angle nouveau plusieurs faits de société.
L’humain moderne nomade pour qui les racines n’ont qu’une importance minime dans son quotidien se retrouve rattrapé par les leçons de certaine région primitive. Quant à nous autres héritiers de la modernité, il semble pus qu’indiqué d’effectuer un retour auprès de nos Arbres Généalogiques…
(1) Propos tenus dans cet ordre : Isabelle Mansuy, Professeur de neuroépigénétique à l’Université de Zurich et à
l’EPZ ; Marcus Pembrey, généticien britannique ; Wolf Reik, biologiste moléculaire et Professeur d’épigénétique
à l’Université de Cambridge.